La Revue de la céramique et du verre N°184 – 2012 | Le Laboratoire imaginaire de Marc Uzan

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De l’atelier au laboratoire, il n’y a qu’un pas que Marc Uzan a franchi pour explorer un nouvel univers où se mêlent teintes acidulées et formes industrielles.

Loin des noirs arrachés, des rouges éclatants et des cristallisations aux effets précieux que nous lui connaissons, le céramiste cette fois-ci nous emmène dans un monde d’objets aux formes contenues qui semblent retenir à la surface les émaux colorés. Rien ne déborde, rien n’explose. Pas d’expressivité exacerbée, pas de déchirement non plus. La couleur, appliquée de manière très couvrante, confère à ces porcelaines rondeur et sérénité.

Marc Uzan ne travaille pas ici à se rendre voyant. Ses dernières céramiques, inspirées des verres de laboratoire, se laissent doucement apprivoisées, requièrent du temps, de la lenteur même.

Objets trouvés et vases communicants

Des jaunes d’or, des parmes, des turquoises, des rouges corail, des gris… rien que des couleurs subtiles mais franches qui disent mieux le parti pris de ces objets trouvés dans un laboratoire de chimie. S’exposent ballons, entonnoirs, fioles, poires et plein d’ustensiles que les couleurs de Marc Uzan ont sortis des étagères froides de leur environnement clinique, un peu à la manière d’un film noir et blanc que l’on aurait colorisé pour lui redonner vie.

Les cristallisoirs, les flacons et autres vases communicants n’ont plus aucune prétention scientifique. Ils sont là pour chanter les élans coloristes de l’artiste et cela swingue. Rappelez-vous l’ambiance chromatique des Fifties, le jaune de la bouilloire émaillée, le bleu du formica, le rouge corail du buffet…

Qu’on ne s’y trompe pas, Marc Uzan ne surfe pas sur la ligne sensible du rétro. Au contraire c’est une dimension toute contemporaine qu’il insuffle à ces formes manufacturées enveloppées de teintes vives et qu’il accentue par l’usage inhabituel dans son travail de matériaux annexes qui accessoirisent l’objet. Les durites en caoutchouc habillent la Boîte à transfert, L’entonnoir se couche sur de la mousse synthétique pendant que les Tubes à essai se balancent sur un support en aluminium. Parmi ces « Céramiques de laboratoire », toutes réalisées en porcelaine, on distingue plusieurs familles. Il y a celles qui reproduisent fidèlement les incontournables des scientifiques comme la fiole, l’éprouvette ou le mortier. D’autres, à l’instar de l’Ogive bleue, sont plus fantaisistes. Enfin, certaines dont la composition ressemble à quelque référence cataloguée, cultivent l’ambiguïté comme nous l’explique l’artiste : « Ces objets sont dotés d’une fonction imaginaire. Leur utilisation est improbable et ne manquerait pas de laisser perplexe le chimiste ».

Clin d’oeil. Uzan s’amuse et se fait farceur. L’ajout même de durites ou de fils électriques sur les Générateurs accentue le leurre en paraissant indispensables à leur bon fonctionnement. Les câbles pourtant ne sont branchés à rien sinon au vide. Le céramiste ne cherche pas spécialement à généraliser ces techniques mixtes et à employer d’autres matériaux que la céramique. Le simple usage de la couleur modifie le statut de l’objet et la perception que l’on en a. Le spectateur est amené ainsi à se questionner sur les différentes réalités que peut recouvrir la notion d’objets tels que ces flacons et ces vases regroupés sous le titre « Céramiques de laboratoire ».

Marc Uzan ne nomme que très rarement ses oeuvres, dans cette exposition elles portent le plus souvent le nom répertorié du verre qui l’a inspiré : fiole, bécher, éprouvette. Les autres comme le  transformateur font référence à des modèles standards de l’industrie ou se nomment tels les verres éponymes Céramique à expérience comme pour renouer avec la destination première du laboratoire : la Recherche. Retour au point de départ car c’est précisément au coeur de l’expérience que se situe l’art de Marc Uzan. Retour à l’atelier.

Sérendipité

L’artiste, dont on connaît le parcours autodidacte, est un découvreur adepte du « trouve ce que tu ne cherchais pas », toujours prêt à accueillir de façon positive les incidents de cuisson et les effets inattendus. La palette inédite de ses « Céramiques de laboratoire » est l’héritage des travaux qu’il avait précédemment menés. En mouvement perpétuel ses créations s’enchaînent et l’entraînent toujours vers des découvertes qu’il n’a pas préméditées. Il cultive la sérendipité. Cette démarche, parfois déroutante pour les collectionneurs explique la diversité de son style et reste essentielle pour l’artiste toujours en quête de nouvelles sensations. Pour autant le céramiste ne laisse pas le hasard s’emparer complètement de son art. Il sait être précis et méthodique, comme en témoignent ses émaux de haute température, fil conducteur de son travail. D’ailleurs quand on l’interroge sur les sources d’inspiration qui l’ont guidé jusqu’à ce laboratoire imaginaire, Marc Uzan répond : La couleur.

Depuis plus d’un an, avec une application quasi obsessionnelle, il cherchait à obtenir des roses. Finalement, ce coloris ne s’est pas révélé aussi porteur qu’il l’espérait mais l’a conduit vers d’autres teintes.

Il y a eu les magnifiques bleus proches de ceux qui éclairent les verreries romaines, des bleus turquoise et marine qu’il aime à opposer, accoler et juxtaposer. Puis est venu un jaune éclatant, solaire, contraire et faire-valoir du gris. Marc Uzan aime la substance colorante et son potentiel. « Il y a des couleurs qui exaltent, d’autres au contraire qui accablent, c’est pourquoi je ne les ai pas utilisées en solo mais toujours en association avec une autre couleur en général très lumineuse. Les émaux sont traités en aplat, j’ai soigneusement évité les dégradés, superpositions et les émaux hétérogènes. Ainsi posées, ce sont les couleurs qui induisent les formes. Ici, la palette de couleurs développée a généré ces formes neutres et anonymes issues du monde scientifique et industriel ».

Les teintes sont mises en valeur par un système de cloisonnement. Le noir qui ourle les cols cerne la couleur dans un espace délimité et fait barrage à sa diffusion en séparant très nettement la paroi interne de l’enveloppe extérieure. Sur les cristallisoirs et les bâtées, dont les formes intrinsèques se rapprochent des modèles classiques du potier, le bol, la coupe, les aplats colorés sont contenus par une arête franche. Le céramiste tire profit de l’amincissement de la pâte pour éclairer d’un filet clair les émaux.

La dualité caractérise toutes ces pièces bicolores. Ici la profondeur d’un jaune est mise en relief par un intérieur bleu, ailleurs la subtilité du lilas est révélée par le rose pâle. Avec ces émaux très pointus et ces formes abouties, Marc Uzan dissimule « le labeur qu’il y a derrière cette façade ». La simplicité des lignes et des volumes n’est qu’apparente. Elle est le fruit d’un tournage très lent et appliqué dit à la façon de Sèvres qui ne laisse aucune trace physique sur la pâte. Avec les glaçures au contraire, différents effets se font jour en surface, du très onctueux jaune brillant au cristallin rouge corail en passant par le velouté poudré du bleu. Que dire encore de ces gris étonnants à la fois minéraux et métalliques qui engendrent des compositions issues de l’industrie comme les Générateurs autonomes ou des formes plus organiques comme le mortier et son pilon. Avec l’usage de cette couleur, l’adéquation entre la matière et la forme est totale. Marc Uzan serait-il en passe de devenir un designer ? Non, car le céramiste n’a pas la volonté de faire produire et de diffuser l’objet à grande échelle. Bien au contraire chaque pièce née du tour et sortie du four est considérée comme un essai. Un essai concluant que l’artiste déclare définitif et abouti mais qui dénué de toute fonction utilitaire reste seulement porteur de l’acte créateur et véhicule de la poésie qui en émane.Véronique Taverne | La Revue de la céramique et du verre N°184 - 2012