La Gazette de l’Hôtel Drouot N°20 – 2009 | Noirs incandescents

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Reconnu pour la qualité de ses émaux, Marc Uzan jongle avec le rouge et le noir sur des chemins formels inattendus et audacieux.

Déchiquetés, déstructurés, les noirs d’Uzan font écho à quelque sombre cataclysme. Chaotiques. Tels des morceaux de terre arrachés aux flammes de l’enfer, ils évoquent le dessous des volcans… vous savez, là où le magma agglutiné construit des grottes aux voûtes noircies par l’amoncellement des gouttes de lave refroidie. Concrétions. Ces grés sont tellement mats et denses qu’on dirait à s’y méprendre des morceaux de charbon ou des fragments de basalte. Montés verticalement, ouverts en leur centre, ils rappellent encore ces souches enfumées et ces squelettes d’arbres calcinés que laissent derrière eux les incendies qui ravagent chaque été les terres du Sud. Parmi les noirs d’Uzan, beaucoup prennent l’aspect de tours percées, sortes de cheminées animées d’une force inerte tellement saisissante qu’on la pressent éruptive. Lorsque Uzan ne broie plus du noir, il voit rouge. Cette couleur, que le céramiste maîtrise depuis longtemps dans ses plus subtiles nuances, génère de nouvelles formes, pyramidales et ascensionnelles, qui s’accordent naturellement avec l’énergie que le rouge sous-tend. Rien à voir, cependant, avec les abrupts noirs, au contraire : s’éloignant de la violence contenue dans ces derniers, les sculptures écarlates ont quelque chose d’apaisé. L’aspect satiné et très enveloppant de la couverte, tel un coulis de fruits rouges nappant une crème glacée, dégage même une impression de plénitude. C’est le calme après la tempête, une sérénité retrouvée, que traduisent une surface onctueuse et des structures aux courbes plus douces. Coniques. Pour Marc Uzan, d’ailleurs, la couleur n’est pas dissociable de la configuration de ses œuvres, en ce sens où c’est la teinte des émaux qui induit la forme. Les noirs appellent des géométries tranchantes, déconstruites, à la surface ravagée, le tout étant évocateur du chaos et générateur d’effroi. Trous noirs. Le rouge demande davantage de rondeur. Le céramiste lui réserve plus volontiers les contenants classiques du potier, le bol, le vase, à l’épiderme lisse ou tout juste griffé pour que l’émail s’accroche. En vrai perfectionniste de la couleur, Marc Uzan est devenu un spécialiste des émaux de haute température, et du rouge de cuivre en particulier. Le temps n’a pas émoussé son entrain, et c’est avec toujours autant de plaisir qu’il travaille cette palette pour en décliner les plus infimes nuances.

Tours et détours

Les formes simples se plaisent à recevoir l’émail et se jouent naturellement de ses variations chromatiques selon que la couleur se coule sur leur paroi interne ou externe. C’est pourquoi il continue à s’intéresser aux objets tournés avec soin, des coupes, des vases boules, des vases cylindriques sur talon ou autres pièces évoquant les contenants chinois. Si la maîtrise de son art lui a valu beaucoup de succès auprès des amateurs de belles céramiques, pendant longtemps, les férus d’art contemporain ne s’y sont pas retrouvés. Trop sage, Uzan ? Peut-être l’a-t-il été, mais les céramiques qui sont sorties de son four ces dernières années prouvent que le créateur ne manque pas d’inspiration et qu’il n’est pas bloqué par la tradition, au risque même de dérouter maintenant ses fidèles collectionneurs. Trente ans après ses débuts, Uzan ne renie rien, ni ses bols ni ses concrétions. Les uns ont conduit aux autres, le glissement entre les œuvres s’opérant dans un mouvement perpétuel. Peu lui importe la querelle entre modernes et anciens ou la rentabilité commerciale des pièces classiques par rapport aux plus originales. Sa seule préoccupation ? Les émaux et la patience qu’ils demandent. Ce sont eux qui, dans un enchaînement de surprises, l’entraînent vers d’autres découvertes et le conduisent à de nouvelles trouvailles. C’est comme cela que des formes inattendues ont jailli et que sont apparues les glaçures à décollement de matière, particulièrement prisées par le céramiste. Sur ces couvertes multicouches à superpositions de noirs, mats ou brillants, Uzan se plaît à jouer sur les retraits ton sur ton de cette couleur ou contrastant sur du rouge. Appliquée à des vases globulaires aux formes pleines, cette technique est du plus bel effet, car les sillons creusés dans l’épaisseur de la matière parcourent d’un réseau de veines ornementales les panses arrondies. Moins décoratives et plus brutes sont ses sculptures en noir estampées dans un coffrage en béton, auxquelles l’artiste – qui n’est guère prolixe en titres – donne le nom de « Murs ».Des œuvres audacieuses qui, comme ses tours éboulées, requièrent une cuisson très précise et sont le fruit d’un travail d’équilibriste, oscillant entre contrôle et lâcher-prise. 

L’enfance de l’art

Uzan est venu à la céramique par la proximité qu’il a auprès des enfants. Rien à voir avec sa formation initiale, la physique. Celle-ci lui a certainement été profitable pour ses recherches sur l’émail, mais elle ne le prédisposait en rien à son art. C’est à la faveur d’un poste d’animateur qu’il découvre le bonheur tactile du modelage, ce plaisir primaire que tout enfant porte naturellement en lui lorsqu’il triture de la pâte à modeler ou de la boue. Sa rencontre avec la céramique a d’abord lieu au centre d’arts plastiques d’Aubervilliers, qu’il fréquente en 1974 et 1975, puis en Italie, à Florence. Là, il intègre un atelier collectif et fait ses premiers apprentissages sérieux du travail de la terre, le tournage et l’émaillage. Si cette approche de l’art du feu est intense, elle est encore dénuée de toute contrainte professionnelle. Il vit cette expérience italienne en dilettante, profitant de son statut d’étudiant pour flâner dans la cité des Médicis et découvrir l’art qui l’habite à chaque carrefour. Plus tard, d’autres grandes villes vont concourir à donner à Marc Uzan une connaissance approfondie de la céramique ; il mettra toujours à profit ses déplacements à travers le monde pour apprendre sur le tas, et travailler la terre en intégrant les particularités et les savoirs locaux. Sans être un globe-trotter, notre artiste a été un grand voyageur : il a tour à tour installé son atelier à Caracas, Brasilia, Genève et dans la Sarthe, où il travaille toujours. L’homme est assez peu enclin à faire visiter son atelier, mais il aime partager son savoir. Cet autodidacte ne voit en effet aucun intérêt à faire de la rétention d’information. Il se sent même animé d’une véritable mission de transmission, qu’il a concrétisée par l’animation de stages et la rédaction d’un ouvrage technique proposant des recettes de couleurs. Se voulant accessible et pédagogue, il a pour cette publication mis au point une méthode de recherche innovante fondée sur des graphiques. Uzan le professeur s’inscrit ainsi dans la lignée historique de Jean Girel et Daniel de Montmollin, céramistes desquels il a beaucoup appris et qui ont ouvert la voie de la vulgarisation du savoir. Marc Uzan reste attaché à l’expérience ; il ne se sent aucunement entravé par la connaissance et la théorie, celles-ci ne servant qu’à mieux utiliser les hasards. Ses dernières œuvres en sont une belle illustration et prouvent que sa créativité est non seulement intacte, mais surtout en constante évolution, point essentiel à la définition d’un artiste.Véronique Taverne | La Gazette de l’Hôtel Drouot – N°20 Mai 2009